Transformer les bureaux en logements pour enrayer la crise ?
SOMMAIRE
- Transformation de bureaux en logement : Le potentiel inexploité
- Les chiffres clés du marché des bureaux
- Impact des nouvelles tendances de travail
- Avantages de la transformation
- Les principales contraintes de la transformation de bureaux en logements
- Des défis économiques et techniques
- Enjeux juridiques et administratifs
- Acceptabilité sociale et urbaine
- Quelles perspectives pour la réversibilité des bâtiments ?
- Quelles propositions pour surmonter les obstacles au changement d’usage ?
- Une transformation sur mesure
La France fait face à une double crise : une pénurie persistante de logements, accentuée par des coûts immobiliers en hausse, et une augmentation préoccupante des bureaux inoccupés. Ces deux dynamiques, apparemment distinctes, convergent vers une opportunité : transformer des surfaces de bureaux inutilisées en logements.
Selon le Consortium des Bureaux de France, près de 2 millions de m² de bureaux en friches pourraient être réaffectés , un espace suffisant pour accueillir plus de 50 000 habitants dans les prochaines années. Mais ce potentiel reste largement sous-exploité, malgré l'urgence de la situation. Les nouvelles habitudes de travail, comme le télétravail ou le flex-office, ont réduit les besoins en espaces professionnels, laissant une partie du parc immobilier tertiaire obsolète ou inadapté. Parallèlement, la crise du logement s’aggrave, urgeant d’explorer des solutions innovantes.
Cependant, entre contraintes techniques, juridiques et économiques, la conversion des bureaux en logements demande une coordination rigoureuse entre acteurs publics et privés. Nous verrons ici les opportunités qu’offre cette transformation, les freins qui ralentissent son développement et les leviers possibles pour en maximiser l’impact.
Transformation de bureaux en logement : Le potentiel inexploité
Les chiffres clés du marché des bureaux
La France dispose d’un parc immobilier tertiaire estimé à 173 millions de m², selon les données du Consortium des Bureaux de France (CBF, décembre 2024). Parmi ces surfaces, 9,2 millions de m² sont inoccupés, dont 2 millions de m² de friches laissées vacantes et sans projet depuis plus de deux ans. Ces espaces inutilisés représentent une opportunité considérable pour répondre à la crise du logement : en les transformant, il serait possible d’héberger jusqu’à 53 000 personnes dans un délai de cinq ans.
L’Île-de-France concentre à elle seule plus de la moitié des bureaux vacants, notamment dans les Hauts-de-Seine et à Paris. Les grandes métropoles régionales comme Lyon et Lille sont également touchées. Autre exemple, si les plus de 10 000 m² de bureaux en friche étaient convertis en logements neufs dans l’Hérault, ils permettraient de loger près de 270 personnes. En Haute-Garonne, ce nombre est multiplié par 10. Mais au-delà des chiffres, ce constat fait état d’un changement de paradigme dans l’usage des espaces de travail.
Impact des nouvelles tendances de travail
Le télétravail, généralisé depuis la pandémie, et l’essor du flex-office ont drastiquement réduit les besoins en surface : là où 15 m² par employé étaient nécessaires, ce chiffre est aujourd’hui descendu à 5 m², selon Kevin Maruszak, directeur de la Foncière de Transformation Immobilière. Les entreprises privilégient désormais des espaces plus compacts, mieux situés et plus adaptés aux modes de travail modernes.
Cette transition a entraîné une augmentation notable des surfaces inoccupées, en particulier dans les zones périphériques ou peu accessibles, rendant ces bureaux peu attractifs pour les entreprises.
Avantages de la transformation
Sur le plan écologique, cette solution s’inscrit dans la lutte contre l’artificialisation des sols, en adéquation avec les objectifs de la loi Climat et Résilience. Plutôt que de construire de nouveaux bâtiments, la réutilisation des structures existantes permet de réduire l’empreinte carbone et préserver les espaces naturels.
Sur le plan social, ces transformations contribuent à répondre à une demande urgente de logements, en particulier dans les zones tendues. Enfin, elles offrent une opportunité de revitaliser des quartiers délaissés et de les adapter aux besoins actuels des habitants. Pourtant, malgré ce potentiel, de nombreux freins continuent d’entraver ces projets.
Les principales contraintes de la transformation de bureaux en logements
Des défis économiques et techniques
Le changement d'usage est un projet ambitieux, mais qui s’avère souvent plus coûteux que prévu. Contrairement à une construction neuve, les rénovations impliquent des ajustements importants pour adapter des immeubles initialement conçus pour des usages professionnels à des normes résidentielles.
Par exemple, les immeubles de bureaux disposent généralement de larges surfaces vitrées et de configurations de plancher qui ne correspondent pas aux besoins d’habitation. Ces réaménagements, notamment la création de pièces cloisonnées ou l’installation de réseaux électriques adaptés, augmentent considérablement les coûts.
Ces dépenses, couplées à des incertitudes sur la rentabilité des projets, découragent parfois les investisseurs. Comme le souligne Pascal Boulanger, président de la FPI, la rénovation engendre des coûts plus chers que la construction neuve. Ce sont des opérations de requalification urbaine ciblées par des grands groupes qui ne vont pas sauver notre métier.
Enjeux juridiques et administratifs
Les procédures administratives complexes constituent un autre obstacle pour la transformation de bureaux en logements. En effet, le changement de destination d’un bâtiment nécessite une autorisation d’urbanisme, un permis de construire ou une déclaration préalable. Tout cela est réglementé par les articles R.421-14 et R.421-17 du Code de l’Urbanisme :
- dans le cas où un changement de destination ou de sous-destination est accompagné de travaux modifiant les structures porteuses ou la façade de l'immeuble, un permis de construire (PC) est nécessaire (R. 421-14)
- dans le cas d’un changement de destination « simple » ou de sous-destination en dehors d'une même destination, sans modification des structures porteuses ou de la façade, une déclaration préalable (DP) suffit (R. 421-17)
- lorsqu’un projet, qui comporte un changement de destination ou de sous-destination, porte à titre principal sur des travaux soumis à PC (ex. : création de surface de plancher > 20 m²), l'autorisation la plus forte doit s'appliquer : un PC est requis
- dans le cas d’un changement de sous-destination au sein d’une même destination sans modification des structures porteuses ou de la façade, aucune autorisation d’urbanisme n’est requise
Ces démarches, encadrées par des réglementations locales strictes, varient selon les municipalités et peuvent entraîner des délais importants.
Bien que des initiatives législatives, comme la proposition de loi portée par le député Romain Daubié, visent à faciliter ces conversions, leur mise en œuvre reste incomplète. La dissolution de l’Assemblée nationale en 2023 a ajourné le vote d’une loi ambitieuse qui aurait permis de simplifier les démarches administratives et de réduire les contraintes pour les porteurs de projets.
À noter cependant que l’année 2023 a vu la délivrance du premier “permis de construire sans affectation” pour un bâtiment à Bordeaux. Dans cette logique de favoriser le développement de l’immobilier réversible, un tel permis de construire permet de concevoir des bâtiments capables de s'adapter à différents usages au fil du temps, plutôt que de définir leur usage dès le départ.
Acceptabilité sociale et urbaine
Si un bureau est vide depuis longtemps, ce n’est pas toujours par manque de demande : son emplacement peut être un frein. Comme l’explique Kevin Maruszak, on ne fait pas de résidentiel au milieu d’un parc d’affaires. Les logiques pour travailler et habiter sont différentes
. Les futurs habitants cherchent des zones bien desservies par les transports, dotées de commerces et d’équipements publics, des critères souvent absents des quartiers principalement dédiés au tertiaire.
Les collectivités locales, de leur côté, hésitent parfois à encourager ces transformations. La suppression de la taxe d’habitation a rendu les logements moins intéressants financièrement pour les municipalités, qui préfèrent souvent privilégier les bureaux, même inoccupés, pour générer davantage de revenus.
Quelles perspectives pour la réversibilité des bâtiments ?
Malgré les obstacles, des initiatives ambitieuses commencent à émerger pour exploiter le potentiel des bureaux vacants. La Foncière de Transformation Immobilière (FTI) mène actuellement 58 projets de réhabilitation, représentant 300 000 m² de bureaux transformés en 5 500 logements, dont 60 % de logements sociaux.
L'objectif : apporter une réponse à la crise du logement, mais aussi améliorer la qualité des infrastructures grâce à des mises aux normes énergétiques et environnementales. Ces projets participent également à la désimperméabilisation des sols, restituant des surfaces à la nature pour continuer dans une logique de développement durable.
L’approche stratégique du Consortium des Bureaux de France (CBF) est également prometteuse : en utilisant des outils de cartographie avancés et des modèles mathématiques, le CBF identifie les bureaux obsolètes susceptibles de répondre aux besoins résidentiels. Cela permet d’optimiser les efforts en ciblant directement des bâtiments situés dans des zones accessibles et attractives.
Quelles propositions pour surmonter les obstacles au changement d’usage ?
Simplification des règles urbanistiques
Pour encourager les transformations, une simplification des démarches administratives est essentielle. Cela inclut la réduction des délais d’obtention des permis de construire et des assouplissements spécifiques pour les projets en zones tendues. Des dérogations, déjà prévues dans certains cas par la loi Climat et Résilience, pourraient être généralisées pour faciliter ces opérations.
Incitations économiques
L’État pourrait renforcer les incitations fiscales pour encourager les investisseurs à rénover les bureaux vacants. Par exemple, des exonérations temporaires de taxes ou des prêts garantis par l’État pour des projets écoresponsables pourraient réduire les barrières financières. André Yché, ancien président de CDC Habitat, propose également une taxation progressive de la vacance des bureaux inutilisés depuis plusieurs années, de plus de 50% de son montant initial pour toute année supplémentaire
, afin d’inciter les propriétaires à les transformer.
Une transformation sur mesure
Pour maximiser l’efficacité de ces changements d’usage, il est essentiel d’adopter une approche localisée. Les projets doivent découler d’une vision d’ensemble du développement urbain, en tenant compte des besoins spécifiques des habitants et des potentialités des quartiers concernés. Cela implique une planification intégrée avec les collectivités locales pour garantir que les futurs logements disposent des infrastructures nécessaires : transports, commerces, écoles et espaces verts.
De plus, une meilleure sensibilisation des investisseurs et des acteurs locaux aux opportunités qu’offrent ces transformations pourrait jouer un rôle déterminant. Les opportunités ne manquent pas, ces projets doivent désormais être envisagés comme de réels leviers pour revitaliser les territoires et répondre durablement aux défis du logement.
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