Impôt sur la plus-value immobilière : une proposition de loi pour une exonération plus rapide
SOMMAIRE
- Plus-value immobilière : Le cadre juridique actuel
- Un double prélèvement
- Des abattements progressifs jusqu’à l’exonération
- Un produit fiscal non négligeable
- Les intentions du législateur : arbitrage entre fluidité et recettes
- Un cadre plus restrictif que certains voisins européens
- La proposition de loi pour accélérer l'exonération sur la plus-value immobilière
- Un texte déposé dans l’urgence du marché
- Une architecture resserrée autour de cinq articles
- L’innovation fiscale : un abattement unique et accéléré
- Un moratoire DPE destiné à prévenir une crise locative
- Un financement affiché comme neutre pour le budget de l’État
- Effets attendus sur le marché immobilier : vendeurs, acquéreurs, promoteurs
- Pour les vendeurs : un arbitrage fiscal décisif
- Pour les acquéreurs : davantage d’offres mais une trajectoire de prix incertaine
- Pour les promoteurs et les professionnels : un « débloqueur » d’offres au goût d’inachevé
Le 14 mai 2025, le député Éric Ciotti (Union des Droites pour la République) a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour écourter la durée de détention ouvrant droit à l’exonération totale d’impôt sur la plus-value immobilière. Une proposition motivée par un marché du logement sous tension, où l’offre peine à suivre la demande et où les incitations fiscales nourrissent un débat récurrent entre dynamisation des transactions et préservation des recettes publiques. Avant d’examiner le texte, il importe de rappeler le fonctionnement actuel du régime et les raisons de son évolution.
Plus-value immobilière : Le cadre juridique actuel
Un double prélèvement
En France, toute plus-value réalisée lors de la cession d’un bien immobilier hors résidence principale supporte l’impôt sur le revenu (19 %) et les prélèvements sociaux (17,2 %), soit une imposition brute de 36,2 %. L’assiette est calculée par le notaire au moment de la vente, puis déclarée et prélevée directement, ce qui en fait une recette de flux particulièrement lisible pour l’État.
Des abattements progressifs jusqu’à l’exonération
Le Code général des impôts applique un abattement pour durée de détention :
- 6 % par an de la 6e à la 21e année et 4 % la 22e pour l’impôt sur le revenu
- 1,65 % par an sur la même période puis 9 % au-delà pour les prélèvements sociaux
Concrètement, l’exonération d’IR est acquise après vingt-deux ans et celle des prélèvements sociaux après trente ans. Avant ce seuil, la taxation effective décroît — elle tombe à 29,08 % après dix ans, 20,54 % après quinze ans — sans toutefois disparaître.
Un produit fiscal non négligeable
Les plus-values immobilières constituaient en 2024 une recette consolidée « IR + prélèvements sociaux » estimée à un peu plus de 3 milliards d’euros, selon le compte rendu de séance du 23 octobre 2024 à l'Assemblée Nationale. Ce rendement varie avec le volume de transactions, la conjoncture des prix et la répartition par durée de détention.
Il contribue au financement de la Sécurité sociale via la CSG/CRDS et aux objectifs de réduction du déficit, si bien que toute réforme soulève immédiatement la question de son gage budgétaire.
Les intentions du législateur : arbitrage entre fluidité et recettes
Le dispositif actuel poursuit trois objectifs :
- Limiter la spéculation : en rendant la détention longue plus attractive fiscalement, le législateur entend éviter les rotations rapides de capitaux.
- Garantir des recettes régulières : l’imposition à la source évite l’évasion et constitue une variable d’ajustement budgétaire.
- Inciter à la détention patrimoniale : l’allongement du délai favorise la constitution d’un patrimoine de long terme, au prix toutefois d’une rigidité du marché.

Un cadre plus restrictif que certains voisins européens
Dans l’Union européenne, plusieurs pays appliquent une exonération plus rapide : la Belgique taxe la revente d’un immeuble bâti uniquement si elle intervient dans les cinq premières années (16,5 % au plus), au-delà la plus-value est exonérée. Au Royaume-Uni, il n’existe pas de durée d’exonération ; les gains sont imposés au taux de 18 % (ou 24 % au-delà de la tranche de base) depuis le 6 avril 2025 mais peuvent être neutralisés par l’abattement annuel ou des reports de déficit.
Ces comparaisons nourrissent en France le plaidoyer pour une exonération plus rapide, présentée comme un levier de libération de l’offre.
La proposition de loi pour accélérer l'exonération sur la plus-value immobilière
Un texte déposé dans l’urgence du marché
Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025 sous le numéro 1411, la proposition de loi « visant à relancer le secteur du logement » a été déposée le lendemain par le député Éric Ciotti au nom du groupe UDR. Elle compte, outre son auteur, quinze co-signataires issus du même groupe parlementaire, tous issus de circonscriptions fortement exposées à la tension immobilière (Alpes-Maritimes, Rhône, Île-de-France, Occitanie).
Le texte a été renvoyé à la commission des Affaires économiques, qui l’examinera fin mai, première étape d’une navette que le député souhaite « rapide pour ne pas rater la saison des transactions d’automne », selon son entourage.
Une architecture resserrée autour de cinq articles
La proposition comporte cinq articles.
- L'article 1 modifie l’article 150 VC du CGI : l’abattement pour durée de détention devient linéaire à 20 % par an au-delà de la cinquième année, ce qui conduit à une exonération totale d’impôt sur le revenu au bout de dix ans.
- L'article 2 applique la même règle aux prélèvements sociaux en retouchant l’article L. 136-7 du Code de la Sécurité sociale.
- L'article 3 instaure un moratoire sur l’interdiction de louer les logements classés G au diagnostic de performance énergétique (DPE), mesure en vigueur depuis le 1er janvier 2025.
- L'article 4 « gagera » la perte de recettes par une taxe additionnelle sur le tabac.
- L'article 5 fixe l’entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2026.
L’innovation fiscale : un abattement unique et accéléré
Le cœur de la réforme est bien sûr la suppression des grilles différenciées d’abattement fiscal (6 % ou 1,65 % selon qu’il s’agit de l’IR ou des prélèvements sociaux) héritées de 2012. À leur place, un taux unique de 20 % après cinq ans ramène la durée d’exonération de 22/30 ans à 10 ans pour les deux composantes de l’impôt.
Le député met en avant « la lisibilité retrouvée du calcul » et la fin d’une « complexité dissuasive pour les petits bailleurs ». Pour les vendeurs détenant leur bien depuis onze ans, l’économie fiscale atteindrait 36,2 % de la plus-value, soit un gain très important.
Un moratoire DPE destiné à prévenir une crise locative
En parallèle, l’article 3 suspend, jusqu’à nouvel ordre, les interdictions de location qui frappent les logements classés G depuis le 1ᵉʳ janvier 2025. L’exposé des motifs souligne le risque de « réduction mécanique de l’offre » dans les zones tendues et plaide pour une mise en œuvre plus réaliste et socialement acceptable
de la transition énergétique.
Pour rappel, les passoires thermiques sont bel et bien interdites de location mais un assouplissement du calendrier a été voté au Sénat le 1er avril dernier et doit repartir à l'Assemblée nationale pour être étudié.
Un financement affiché comme neutre pour le budget de l’État
Le gage budgétaire par accise sur le tabac vise à neutraliser la perte de recettes estimée à 1,4 milliard d’euros la première année (évaluation interne de la commission des Finances, à paraître). Le choix de ce vecteur, déjà mobilisé pour compenser des exonérations antérieures, offre une élasticité financière jugée suffisante par le rapporteur pressenti, mais il devra encore passer l’écueil du Conseil constitutionnel si la hausse devait dépasser la trajectoire annuelle des droits d’accise.
Effets attendus sur le marché immobilier : vendeurs, acquéreurs, promoteurs
Pour les vendeurs : un arbitrage fiscal décisif
La durée médiane de détention atteint déjà 10 ans pour les appartements et 12 ans pour les maisons en Île-de-France. Pour ce qui est de l'immobilier dans l'Hérault, 31 % des vendeurs dépassent 15 ans de détention, tandis que 29 % se situent entre 5 et 10 ans (Source : Chambre des Notaires de l'Hérault). Autrement dit, près d’un tiers du parc mis en vente tomberait instantanément sous le seuil d’exonération si la loi entrait en vigueur.
Prenons une cession après 11 ans avec une plus-value de 200 000 € : le régime actuel laisse subsister un taux effectif d’environ 29,1 %, soit 58 200 € d’impôt. Le projet d’Éric Ciotti ramènerait ce coût à zéro dès la signature, offrant un gain net de 36 200 € par rapport à une année supplémentaire de détention et, surtout, 72 000 € par rapport au régime inchangé de 22 ans.
Le différentiel constitue un solide argument pour vendre plutôt que de conserver un bien dont la rentabilité locative a fortement diminué avec la hausse des taux et la perspective de travaux énergétiques.
Cette fenêtre fiscale devrait surtout concerner les investisseurs individuels entrés entre 2003 et 2014, période de hausse rapide des prix. Sur la base de 803 000 transactions enregistrées sur douze mois à fin février 2025, un abattement linéaire de 20 % par an au-delà de la cinquième année pourrait, selon les projections du Conseil supérieur du notariat, faire basculer 180 000 à 220 000 biens supplémentaires dans la catégorie « cessions potentiellement exonérées » dès la première année d’application.

Pour les acquéreurs : davantage d’offres mais une trajectoire de prix incertaine
La Fédération nationale de l’immobilier anticipe 825 000 ventes en 2025, soit un retour à un niveau proche de l’avant-crise. Si le tiers des biens ainsi mis sur le marché bénéficie d’une exonération, la pression haussière liée à la rareté pourrait se détendre, notamment dans les zones très tendues.
Pour les primo-accédants – jusqu’ici concurrencés par les investisseurs conservant leur parc pour franchir le cap des 22 ans –, l’arrivée de biens « libérés » devrait élargir les choix sans nécessairement abaisser les prix immédiatement : en 2024 la correction n’a pas excédé -2,3 % pour les maisons et -1,8 % pour les appartements à l’échelle nationale d'après la Note de Conjoncture des Notaires de France d'avril 2025. Les études notariées soulignent d’ailleurs que la baisse récente est d’abord passée par les volumes, non par un recul massif des valeurs.
En revanche, la disparition du dispositif Pinel au 31 décembre 2024 – qui offrait jusqu’à 21 % de réduction d’impôt sur le prix d’acquisition dans le neuf – réoriente déjà une partie de l’épargne vers l’ancien. L’exonération accélérée pourrait accentuer ce mouvement, car la plus-value future prend davantage de valeur après dix ans qu’un avantage d’entrée déjà supprimé.
À court terme, les acquéreurs devront donc composer avec une offre plus abondante mais aussi plus concurrentielle, surtout si les taux de crédit poursuivent leur lente décrue.
Pour les promoteurs et les professionnels : un « débloqueur » d’offres au goût d’inachevé
Les promoteurs saluent la mesure comme une réponse indirecte à la pénurie de logements neufs : en fluidifiant le parc ancien, elle libère des budgets d’épargne que les vendeurs pourront réinvestir dans des programmes sous réservation. Cependant, le gain fiscal n’est pas conditionné à un réemploi dans le neuf ; l’effet d’entraînement demeure donc incertain et dépendra de l’attractivité intrinsèque des programmes, désormais privés du Pinel.
La FNAIM estime que l’impact net sur les prix restera contenu : la hausse du stock pourrait absorber la demande refoulée sans entraîner de chute brutale des valeurs, mais un rebond spéculatif n’est pas exclu si des vendeurs positionnent leur bien au plus haut pour capter la totalité de la plus-value. Le Conseil supérieur du notariat, dans sa note d’avril 2025, appelle pour sa part à un suivi trimestriel des volumes pour éviter un emballement à court terme
.
Enfin, la profession alerte sur le risque de télescopage avec la réforme du diagnostic de performance énergétique : le moratoire d’un an prévu par l’article 3 de la PPL offre un répit, mais la valeur des passoires thermiques restera orientée à la baisse si aucune trajectoire de travaux n’est engagée. Autrement dit, le gain fiscal pourrait en partie être absorbé par des remises de prix exigées par les acheteurs, ce qui limite mécaniquement la marge de manœuvre des vendeurs.
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