Interdiction de location des passoires thermiques : le Sénat vote un assouplissement

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le 07 avril 2025

[ mis à jour le 07 avril 2025 ]

SOMMAIRE

Depuis le 1er janvier 2025, les logements classés G, considérés comme les plus énergivores selon le diagnostic de performance énergétique (DPE), sont officiellement interdits à la location. Cette mesure a pour but à pousser le parc immobilier vers une plus grande sobriété énergétique. Au vu du nombre important de logements classés F ou G, l’enjeu est colossal tant sur le plan environnemental que social.

Mais cette ambition se heurte aujourd’hui à une réalité plus complexe : les difficultés économiques des propriétaires, la rigidité de certaines copropriétés et un marché locatif déjà en tension. Le 1er avril 2025, le Sénat a ainsi voté un texte d’assouplissement de cette interdiction. Portée par la sénatrice centriste Amel Gacquerre, cette proposition de loi entend éviter la sortie de milliers de logements du marché locatif, en tenant tout de même compte des obstacles à la rénovation.

Certains voient dans ce PPL un recul important, voire un contournement pur et simple des objectifs climatiques fixés par l'État. D’autres y perçoivent une nécessité, dans un contexte où le logement abordable est devenu un enjeu national. Retour sur un débat aussi technique que politique.

Une interdiction de location prévue de longue date

L'interdiction de location progressive des « passoires thermiques » s'inscrit dans une politique de long terme amorcée par la loi Climat et Résilience, adoptée en 2021. Cette loi prévoit une montée en puissance des exigences en matière de performance énergétique des logements mis en location, avec un calendrier précis pour écarter progressivement les biens les plus énergivores du marché locatif. Aujourd’hui les programmes immobiliers neufs sont tous à la norme RE2020 et affichent un DEP A ou B. L’idée est qu’à terme, tout le parc locatif ancien soit remis à niveau au minimum sur un DPE D.

Depuis août 2022, un premier palier a été franchi : les logements les plus mal classés (étiquette G) ne peuvent plus voir leur loyer augmenté, même en cas de changement de locataire. Puis, au 1er janvier 2023, une autre mesure symbolique est entrée en vigueur : l’obligation pour tout nouveau contrat de location de fournir un DPE valable, interdisant déjà les logements dépassant un seuil maximal de consommation énergétique annuelle (450 kWh/m²/an).

Mais le véritable tournant est survenu le 1er janvier 2025, date à laquelle l’interdiction formelle de mise en location des logements classés G est devenue effective. Une mesure conçue comme une réponse ambitieuse aux enjeux climatiques, mais aussi sanitaires, puisque les logements mal isolés sont souvent synonymes d’inconfort thermique, de surconsommation énergétique, et parfois d’insalubrité.

Derrière cette réglementation se cache une réalité de grande ampleur :

Environ 5,8 millions de logements étaient encore classés F ou G au début de l’année 2024, selon une étude du ministère de la Transition écologique.

Cela représente près de 16 % du parc immobilier, une proportion qui soulève des problématiques immenses en matière de rénovation énergétique, de financement et de justice sociale.

En théorie, ces dispositions sont là pour faire pression sur les propriétaires pour qu’ils rénovent leurs biens. En pratique, de nombreux freins ralentissent cette transition : coûts élevés des travaux, complexité des démarches, pénurie d’artisans qualifiés, blocages en copropriété, ou encore incertitudes sur les aides disponibles. C’est dans ce contexte tendu, à la fois réglementaire et économique, que prend place le débat autour de l’assouplissement voté par le Sénat.

assouplissement interdiction location passoire thermique – un DPE et une tirelire cochon
©sdecoret - Shutterstock

Location des passoires thermiques : un assouplissement très large de l’interdiction voté par le Sénat

Le 1er avril 2025, le Sénat a adopté à une large majorité une proposition de loi visant à assouplir l’interdiction de location des logements classés G. Porté par la sénatrice centriste Amel Gacquerre, ce texte entend répondre aux inquiétudes croissantes d’une partie des propriétaires confrontés à des difficultés techniques, financières ou administratives dans la réalisation des travaux de rénovation énergétique exigés.

L’initiative n’est pas entièrement nouvelle : elle reprend en partie une tentative précédente portée en janvier 2025 à l’Assemblée nationale par les députés Bastien Marchive (groupe Ensemble pour la République) et Iñaki Echaniz (Parti socialiste). Mais cette proposition avait été retirée en plein débat, après le rejet de son article principal, en raison de l’opposition conjointe de La France insoumise et du Rassemblement national. En reprenant ce chantier au Sénat, les partisans du texte espèrent le faire progresser, avec cette fois le soutien affiché du gouvernement.

La ministre du Logement, Valérie Létard, a défendu la proposition au nom du « réalisme » et de la nécessité de « prendre en compte les préoccupations de nos concitoyens ». Le texte, selon elle, est destiné à répondre « dans l’urgence » à un risque majeur : celui de voir sortir du parc locatif plusieurs centaines de milliers de logements, au moment même où le marché est en crise dans de nombreuses zones tendues.

Adoptée à main levée, la proposition de loi bénéficie d’un consensus relatif au Sénat, même si elle reste très critiquée dans d’autres sphères politiques et par la société civile. Les sénateurs qui la soutiennent avancent un double argument : éviter un choc locatif d’une ampleur inédite, et ne pas pénaliser les propriétaires de bonne foi engagés dans une démarche de rénovation mais freinés par des obstacles qu’ils ne maîtrisent pas.

Cet assouplissement législatif, toutefois, ne constitue pas un abandon total de l’ambition écologique qui a motivé le texte original. Le calendrier d’interdiction reste en place sur le principe, mais il est assorti désormais de mécanismes dérogatoires que le Sénat souhaite encadrer, en assouplissant leur application. Ce rééquilibrage entre impératif écologique et faisabilité sociale et économique sera au cœur des débats à venir à l’Assemblée nationale, où le texte sera prochainement examiné.

Les principaux assouplissements votés

Le texte voté par le Sénat introduit plusieurs exceptions notables à l’interdiction de louer des passoires thermiques. S’il ne remet pas en cause la date du 1er janvier 2025 comme jalon réglementaire, il en modifie profondément la portée, en permettant à de nombreux propriétaires de conserver temporairement leurs biens sur le marché locatif.

assouplissement interdiction location passoire thermique – un marteau de juge et une balance
© mojo cp - shutterstock

1. Une tolérance en cas de travaux engagés ou programmés

Première mesure : un logement pourra continuer à être loué si des travaux de rénovation énergétique ont été engagés ou votés en assemblée générale dans le cadre d’une copropriété. Ce point est central pour les copropriétaires, souvent contraints par des processus collectifs de décision qui ralentissent les interventions. Il compte éviter qu’un logement soit bloqué du marché alors même que des démarches de rénovation sont déjà en cours.

2. Des exemptions pour cas d’impossibilité technique ou financière

La proposition de loi prévoit également des dérogations en cas de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales rendant les travaux impossibles. C’est le cas, par exemple, dans certains immeubles anciens classés ou dans des zones soumises à des règles de conservation strictes.

Par ailleurs, si le coût des travaux est jugé "manifestement disproportionné" par rapport à la valeur du bien, l’interdiction ne s’appliquera pas. Cette notion, assez floue, pourrait être au cœur de futurs contentieux.

3. Un "véto" possible des copropriétés

Autre point sensible : la proposition de loi permet une exception lorsque l’assemblée générale de copropriété s’oppose à la réalisation des travaux. Cette disposition a été la plus critiquée, certains élus redoutant qu’elle ne soit utilisée comme un moyen de contournement abusif par des propriétaires peu enclins à rénover. Le risque évoqué est de voir des propriétaires se réfugier derrière un refus collectif pour éviter toute mise en conformité.

4. Une clarification sur les baux en cours

Enfin, le Sénat a précisé que l’obligation de décence énergétique ne s’appliquerait qu’aux baux nouvellement conclus ou renouvelés à compter du 1er janvier 2025. Autrement dit, les baux déjà en cours à cette date ne seront pas concernés, du moins temporairement. Une clarification importante pour les propriétaires craignant une résiliation automatique ou une vacance forcée de leur bien.

Les critiques : un recul pour la transition énergétique ?

L’assouplissement voté par le Sénat ne fait pas l'unanimité, notamment parmi les défenseurs de la transition énergétique et plusieurs formations politiques de gauche. Pour eux, le texte constitue un recul important de la politique ambitieuse portée par la loi Climat et Résilience.

"À bas bruit, le Sénat a adopté des dispositions qui vident de sa substance le calendrier d’obligation de rénovation des passoires thermiques [...] et pourraient avoir de lourdes conséquences sur le rythme de rénovation des passoires."

Damien Barbosa, Coordinateur du collectif Rénovons

D’après lui, certaines de ces mesures vont à l’opposé de l’ambition première en incitant les propriétaires à repousser, voire à éviter, des travaux nécessaires. Cette analyse rejoint les inquiétudes de nombreux acteurs de la société civile, qui craignent un effet domino : en desserrant les contraintes dès la première étape (les logements classés G), le signal envoyé serait celui d’une dépriorisation de la lutte contre la précarité énergétique et les émissions du secteur résidentiel.

assouplissement interdiction location passoire thermique – Un ouvrier isole le plancher d'une maison avec de laine de verre
©Serhii Krot - Shutterstock

Les arguments écologiques sont également mis en avant : le bâtiment reste l’un des principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre en France, et les passoires thermiques, mal isolées, surconsomment de l’énergie, particulièrement en hiver. Pour les ONG environnementales, renoncer – même partiellement – à l’interdiction de mise en location revient à retarder l’atteinte des objectifs climatiques nationaux.

Des critiques politiques se font aussi entendre. Certains élus de gauche, notamment chez EELV ou LFI, ont alerté sur les risques d’instrumentalisation des nouvelles dérogations. Comme mentionné plus haut, l’exemption liée au refus de travaux par la copropriété, par exemple, pourrait être utilisée par des propriétaires réfractaires à la rénovation pour dissimuler une inaction volontaire derrière des motifs collectifs.

Enfin, sur le plan symbolique, le vote du Sénat est perçu par ses opposants comme un signal d’indulgence envers les comportements attentistes. Alors que les aides à la rénovation (MaPrimeRénov’, éco-PTZ, etc.) existent, même si elles sont jugées parfois insuffisantes ou mal calibrées, le texte semble dire que ne pas agir est excusable, voire tolérable dans la durée. Une position à contre-courant de l’urgence climatique que la France a pourtant inscrite dans sa Constitution.

Une réforme encore en suspens

Si le Sénat a ouvert la voie à cette un interdiction de mise en location des passoires thermiques atténuée, le sort définitif de cette proposition de loi reste entre les mains de l’Assemblée nationale. Le texte, après son adoption à la chambre haute, doit désormais être débattu par les députés, où les équilibres politiques sont plus complexes et les sensibilités écologiques plus affirmées.

À ce stade, rien n’assure que la proposition de loi sera adoptée en l’état. L’échec de la version précédente à l’Assemblée, en janvier 2025, rappelle combien le sujet divise au sein même des groupes parlementaires. Entre ceux qui veulent préserver une ambition climatique forte et ceux qui plaident pour une transition « réaliste » en tenant compte des capacités des ménages et des copropriétés, la ligne de fracture est nette.

Le gouvernement, pour sa part, a montré une ouverture certaine au compromis. La ministre du Logement, Valérie Létard, s’est positionnée comme un maillon entre les exigences environnementales et les contraintes du terrain. Mais cette posture d’équilibriste devra bientôt se traduire en actes législatifs clairs, sous peine de nourrir l’incertitude et de ralentir encore les projets de rénovation.

En toile de fond, ce débat illustre une tension structurelle dans la politique énergétique française : comment concilier l’urgence de la transition écologique avec une réalité économique et sociale marquée par la précarité, la pénurie de logements et des freins techniques importants ? La réforme du DPE, régulièrement critiquée pour son manque de fiabilité, et les difficultés d’accès aux aides renforcent encore cette complexité.

Alors que la France s’est engagée à rénover 500 000 logements par an, dont 200 000 passoires thermiques, l’assouplissement voté par le Sénat pourrait ralentir la dynamique et fragiliser l’atteinte de ces objectifs. À l’inverse, ses partisans espèrent qu’un cadre plus souple encouragera plus de propriétaires à s’engager dans des travaux, dès lors qu’ils se sentent moins contraints.

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