Statut du bailleur privé : La piste de l'amortissement comptable envisagée
SOMMAIRE
- L’urgence d’un cadre post-Pinel : Un marché du neuf sinistré
- Une table ronde sous tension
- La fin du Pinel et la chute des ventes
- Pourquoi Loc’Avantages ne suffit pas
- Comment fonctionnerait l’amortissement comptable proposé ?
- Différences avec les régimes existants (LMNP réel, micro-foncier, micro-BIC)
- À quelles conditions ?
- Lisibilité, gouvernance et stabilité budgétaire
- Un impact fort pour les bailleurs, le marché et les finances publiques
- Rentabilité individuelle : un avantage fiscal tangible
- Confort énergétique et loyers modérés au programme
- Relancer la production neuve avec un pari de 40 000 logements par an
- Finances publiques : coût immédiat, retour différé
- Un calendrier serré pour une inscription au PLF 2026
Le mardi 20 mai 2025, une table ronde a été convoquée par la ministre du Logement Valérie Létard, dans le but d'avancer sur les contours d’un nouveau « statut du bailleur privé ». Dans un marché du neuf sinistré et privé de l’incitation Pinel depuis le 1ᵉʳ janvier, l’exécutif cherche un relais crédible pour relancer l’investissement locatif.
La piste aujourd’hui privilégiée consiste à autoriser les bailleurs à amortir comptablement jusqu’à 80 % du coût de leur logement, lissant ainsi l’impôt foncier sur quarante ans. En contrepartie, des contraintes de loyers et de performance énergétique ont été évoquées. Retour sur les premières ébauches de cet éventuel futur dispositif.
L’urgence d’un cadre post-Pinel : Un marché du neuf sinistré
Une table ronde sous tension
Le 20 mai dernier à Paris, la ministre du Logement Valérie Létard a réuni promoteurs, fédérations de bailleurs, banques et collectivités pour un « point d’étape » sur le futur statut du bailleur privé. Les échanges ont confirmé trois objectifs : restaurer l’attractivité de l'investissement locatif, proposer un dispositif pérenne avant la loi de finances 2026 et intégrer des contreparties sociales (plafonds de loyers, exigences énergétiques) dès l’origine (Source : Ministère de la Transition écologique).
Le ministère compte sur les conclusions du tandem parlementaire Marc-Philippe Daubresse/Mickaël Cosson, attendues mi-juin, pour arbitrer la forme exacte de l’incitation.
La fin du Pinel et la chute des ventes
L’extinction définitive du dispositif Pinel au 1ᵉʳ janvier 2025 a produit un effet immédiat. Selon la FPI, dont l'observatoire a publié les chiffres du T1 2025 il y a quelques jours, les ventes à des investisseurs particuliers ont reculé de 41,1 % au premier trimestre 2025 par rapport à la même période de 2024, tombant à 5 967 logements réservés.
Les chiffres consolidés du ministère font état d’un total de 15 865 réservations tous segments confondus (–7,9 % sur un trimestre), niveau le plus bas depuis 2014. Les promoteurs alertent : sous un certain seuil de ventes, les lancements d’opérations deviennent impossibles à financer, aggravant la pénurie. Il devient plus qu'urgent de favoriser le retour des investisseurs dans l'immobilier neuf.
Pourquoi Loc’Avantages ne suffit pas
Prolongé jusqu’en 2027, Loc’Avantages offre une réduction d’impôt de 15 % à 65 % des loyers perçus, mais impose le passage par l’Agence nationale de l’habitat, des plafonds de loyer stricts et un conventionnement de six ans minimum. Les bailleurs n’ont été que 21 000 à y recourir depuis 2022, un volume jugé « marginal » par l’Inspection générale des finances. L’administration fiscale vient de publier un nouveau Bofip pour clarifier le dispositif, sans enrayer son manque d’attractivité.

Comment fonctionnerait l’amortissement comptable proposé ?
Le cœur du futur statut consiste à assimiler le bailleur privé à un « producteur de services au logement » : il pourra constater, comme une entreprise, la dépréciation annuelle de son actif immobilier et la déduire de ses recettes locatives. Le mécanisme retenu s’inspire du régime du loueur en meublé non professionnel (LMNP), mais s’appliquerait à la location nue pour réanimer un segment déserté depuis la fin du Pinel.
Chargés par Matignon de « proposer un régime fiscal universel », le sénateur Daubresse et le député Cosson privilégient un amortissement linéaire de 2 % par an sur quarante ans, inspiré du statut de loueur en meublé non professionnel (LMNP) mais appliqué à la location nue.
Dans un entretien radiophonique à Radio Immo, ils estiment que cette technique coûterait moins de 1 milliard d’euros la première année et donnerait une visibilité de long terme aux épargnants
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Concrètement, seule la composante « bâtiment » est amortissable ; la valeur du terrain, évaluée conventionnellement à 15 %, reste hors base. D’après la littérature comptable appliquée au LMNP, la proportion amortissable atteint en pratique 85 % du prix d’acquisition.
Le texte en cours d’arbitrage envisage en outre la déduction intégrale des intérêts d’emprunt, des frais de notaire et des gros travaux sur vingt ans, rapprochant ainsi fortement la fiscalité de la location nue de celle du meublé.
Différences avec les régimes existants (LMNP réel, micro-foncier, micro-BIC)
En LMNP réel, l’amortissement peut déjà effacer l’impôt sur les loyers, mais la réforme 2025 réintègre désormais les montants pratiqués dans la plus-value lors de la revente, réduisant l’avantage ex-post.
Le futur statut s’en distingue sur deux points : d’une part, il couvre la location nue, aujourd’hui cantonnée au régime réel foncier (où seules les charges, pas l’amortissement, sont déductibles) ; d’autre part, les amortissements réintégrés seraient plafonnés – une réintégration forfaitaire après dix ans est évoquée pour neutraliser les stratégies de « flip » à court terme. Les micro-régimes (micro-foncier 15 % et micro-BIC 50 %) resteraient possibles, mais deviendraient moins compétitifs dans les zones où les rendements bruts sont inférieurs à 6 %.
Un plafonnement annuel de l’avantage au niveau du résultat net (comme en LMNP) devrait également empêcher la création artificielle de déficits. De plus, les experts du Conseil supérieur du notariat dénoncent un risque de concentration au profit des hauts revenus ; le ministère étudie donc un plafonnement global de l’incitation à 300 000 € d’investissement par foyer et par tranche triennale, ainsi qu’une clause de territorialisation priorisant les zones A, Abis et B1.
À quelles conditions ?
L’avantage fiscal ne serait accordé qu’en échange d’un loyer inférieur au marché local, d’un engagement de location et du respect d’exigences énergétiques. Ces conditions seront détaillées un peu plus bas.
Ces garde-fous, portés par l’UNPI et repris par le ministère, viennent concilier soutien à l’investissement et modération des loyers. Un volet spécifique sur la rénovation pourra autoriser l’amortissement accéléré de 100 % des travaux lourds sur vingt ans pour encourager la sortie des passoires thermiques, déjà interdites de location.
Lisibilité, gouvernance et stabilité budgétaire
Parce qu’il remplace plusieurs « niches » successives (Pinel, Censi-Bouvard…), le dispositif entend installer un cadre « universel, neutre et durable » valable pour tout bailleur, qu’il loue nu ou meublé, dans le neuf comme dans l’ancien.
L’Unpi plaide pour une convergence totale entre revenus fonciers et BIC afin de supprimer l’arbitrage fiscal entre vide et meublé, tandis que Bercy calcule un manque à gagner brut de près d'un milliard d'euros compensé à moyen terme par la relance de la construction et les recettes indirectes (TVA, emplois). La mission parlementaire remettra son rapport à la mi-juin ; un amendement au PLF 2026 devrait préciser la trajectoire budgétaire et les conditions d’entrée en vigueur.

Un impact fort pour les bailleurs, le marché et les finances publiques
Rentabilité individuelle : un avantage fiscal tangible
L’intérêt premier de l’amortissement linéaire – 2 % par an sur 40 ans – est de réduire immédiatement la base imposable. Transposée à la location nue, la mécanique efface une part importante de l’impôt foncier.
Sur un T2 neuf acquis 180 000 € (terrain 15 % exclu), la charge amortissable atteindrait 153 000 € ; la déduction annuelle serait donc d’environ 3 060 €. Pour un foyer imposé à 30 %, le gain d’impôt avoisine 920 € par an, auquel s’ajoute la minoration des prélèvements sociaux ; la trésorerie nette se voit bonifiée d’environ 1 400 € – ordre de grandeur confirmé par des simulateurs LMNP qui montrent qu’une économie de 1 500 € est courante dès 20 000 € de loyers.
Confort énergétique et loyers modérés au programme
L’administration lie strictement l’avantage fiscal à des contreparties : loyer inférieur d’environ 10 à 15 % au prix du marché, engagement de six ans et seuils de performance énergétique (DPE A ou B pour l’ancien, RE 2020 pour le neuf). Trois conditions qui répondent à deux préoccupations :
- Limiter l’effet inflationniste observé par la Cour des comptes sur des dispositifs antérieurs, où moins de 10 % de la dépense fiscale se traduisait par une véritable baisse de loyer
- Flécher l’épargne privée vers la transition climatique : un amortissement accéléré de 100 % sur 20 ans est envisagé pour les gros travaux de rénovation, afin d’aider les bailleurs à sortir les passoires thermiques du parc.
Relancer la production neuve avec un pari de 40 000 logements par an
Pour les promoteurs immobiliers, la mise en place rapide du statut est vitale : les réservations aux investisseurs particuliers ont plongé de plus de 40 % au T1 2025. La FPI estime qu’un dispositif « lisible et pérenne » pourrait restaurer l’équilibre économique des programmes et déclencher la construction d’au moins 40 000 logements locatifs neufs supplémentaires chaque année, une hausse de près d’un quart par rapport au niveau actuel.
Dans le scénario médian présenté aux parlementaires, la remontée de la production débuterait dès 2026, avec un effet multiplicateur sur l’emploi dans le bâtiment (environ 34 000 équivalents temps plein selon le ratio ministère : 0,85 ETP par logement).
Finances publiques : coût immédiat, retour différé
Les premières projections de la Direction du budget évoquent un manque à gagner brut proche de 900 M€ la première année d’application, principalement sous l’effet du report d’imposition des revenus fonciers. Ce coût serait toutefois « plus que compensé » à l’horizon 2030 par la TVA sur les ventes neuves et les recettes induites (impôt sur les sociétés, cotisations) ; le comité chargé de l’étude d’impact table sur un retour net à l’équilibre dès la cinquième année, sous réserve d’un volume annuel de réservations supérieur à 35 000 unités.
La Cour des comptes rappelle néanmoins que ce type de dépense fiscale est réputé « plus élevé que les dispositifs actuels pour une efficacité encore non démontrée ».

Un calendrier serré pour une inscription au PLF 2026
Le calendrier officiel, réaffirmé lors de la table ronde du 20 mai, reste resserré : les rapporteurs remettront leurs conclusions « mi-juin 2025 », avant un arbitrage interministériel durant l’été et le dépôt d’un amendement ad hoc au projet de loi de finances (PLF) 2026 attendu à l’Assemblée début octobre.
Le ministère du Logement table ainsi sur une entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2026, afin que les promoteurs puissent intégrer le nouveau régime dans leurs programmes commercialisés à partir du deuxième semestre 2025. Le cabinet de Valérie Létard insiste sur la nécessité de publier « avant la fin de l’année » le décret d’application précisant la méthode d’évaluation de la base amortissable et les contreparties de loyer, pour éviter la période d’incertitude qui avait paralysé le marché lors de la montée en charge du dispositif Pinel en 2015.
De leur côté, les parlementaires indiquent vouloir auditionner la Cour des comptes et la Direction du budget dès juillet, afin de sécuriser l’évaluation du coût net (chiffré pour l’instant à 0,9 milliard d’euros en première année) et de consolider les hypothèses macro-économiques annexées au PLF.
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