Statut bailleur privé : Le nouveau régime fiscal de l'investissement locatif
Le 14 novembre 2025, l'Assemblée nationale a adopté le statut du bailleur privé, demandé par le secteur de l'immobilier depuis une dizaine d'années environ, pour modifier la fiscalité de l'investissement locatif. Pour la première fois, la location nue accède à l'amortissement, mécanisme jusqu'alors réservé au meublé. Cette mesure du projet de loi de finances 2026 cible les logements à loyers modérés, avec des taux d'amortissement variant de 3 à 5,5 % selon le niveau social du bien.
Le statut du bailleur privé : Une rupture fiscale historique
L'amortissement étendu à la location nue
L'amortissement fiscal traduit comptablement la dépréciation d'un bien au fil du temps. Un bailleur déduit chaque année une fraction de la valeur de son logement de ses revenus locatifs imposables. Cette pratique, courante pour les loueurs en meublé non professionnel (LMNP), restait inaccessible aux propriétaires en location nue qui ne pouvaient compter que sur le déficit foncier classique permettant de déduire certaines charges et travaux.
Le nouveau statut du bailleur privé va venir apporter un équilibre longuement attendu. Un investisseur qui loue un appartement nu à loyer encadré peut désormais déduire annuellement un pourcentage forfaitaire de la valeur de son bien, automatiquement pendant toute la durée d'engagement, sans justificatifs de charges. Le déficit foncier s'appuie sur des dépenses réelles et limitées, tandis que l'amortissement constitue une charge comptable forfaitaire indépendante des flux de trésorerie.
Les trois niveaux de loyers et leurs avantages fiscaux
Le statut instaure une grille à trois étages, calquée sur les catégories du logement social. Chaque niveau correspond à un plafond de loyer et à un taux d'amortissement spécifique.
Le loyer intermédiaire constitue l'entrée de gamme du dispositif. Les taux d'amortissement atteignent 3,5 % par an pour un logement neuf et 3 % pour un bien ancien rénové. À Montpellier, en zone A, le plafond s'établit à 12,67 € par m², soit environ 570 € mensuels pour un T2 de 45 m².
Le loyer social s'adresse aux ménages plus modestes. Le bailleur amortit 4,5 % annuellement pour un bien neuf et 3,5 % pour un logement ancien rénové, soit respectivement 1 point ou 0,5 point de plus que l'intermédiaire.
Le loyer très social affiche les taux d'amortissement les plus élevés : 5,5 % pour le neuf, 4 % pour l'ancien rénové. Ces logements ciblent les ménages en grande précarité.
| Niveau de loyer |
Taux neuf | Taux ancien rénové |
Types de locataires |
|---|---|---|---|
| Intermédiaire | 3,5 % | 3 % | Classes moyennes |
| Social | 4,5 % | 3,5 % | Ménages modestes |
| Très social | 5,5 % | 4 % | Ménages très modestes |
Conditions d'éligibilité : Qui peut bénéficier du statut ?
Les biens et investisseurs éligibles à la fiscalité du bailleur privé
Seuls les appartements neufs peuvent prétendre au statut, les maisons individuelles étant exclues. Les logements anciens rénovés entrent dans le dispositif à condition que les travaux représentent au minimum 20 % du prix d'acquisition. Un appartement à 200 000 € nécessite donc 40 000 € de travaux éligibles (amélioration, modernisation, agrandissement).
Le statut s'adresse aux particuliers personnes physiques (seuls ou en couple) et aux SCI familiales non professionnelles. Les bailleurs sociaux institutionnels et les sociétés commerciales restent exclus. La limite est de deux logements maximum par foyer fiscal, avec un plafond de 8000 € d'amortissement annuel.
L'engagement locatif : obligations et sanctions
La loi bailleur privé oblige le propriétaire à louer son bien pendant 12 années consécutives minimum, sous peine de perdre rétroactivement tous les avantages fiscaux. Cette période court à compter de la mise en location effective.
Obligations impératives :
- Location nue en résidence principale du locataire (bail de 3 ans minimum)
- Interdiction de louer à la famille proche (parents, enfants, frères, sœurs, grands-parents)
- Respect des plafonds de loyers et de ressources des locataires
La rupture anticipée (vente, transformation en résidence secondaire, location meublée) déclenche un rappel fiscal intégral des avantages perçus, majorés d'intérêts de retard. Seules certaines circonstances exceptionnelles (décès, invalidité, licenciement) pourraient justifier une sortie sans pénalité.
Montant et calcul de l'amortissement dans le statut fiscal du bailleur privé
La méthode de calcul détaillée
Première étape : déterminer la base amortissable. Celle-ci correspond à 80 % de la valeur totale du bien, incluant le prix d'acquisition et, le cas échéant, le montant des travaux de rénovation. Un appartement acheté 200 000 € génère une base de 160 000 €. Si des travaux de 50 000 € viennent s'ajouter, la base grimpe à 200 000 € (80 % de 250 000 €).
Deuxième étape : appliquer le taux d'amortissement correspondant au niveau de loyer choisi. Un bien neuf de base amortissable 160 000 € en loyer social produit 7 200 € de déduction annuelle (160 000 × 4,5 %).
Troisième étape : confronter le résultat au double plafonnement. Le premier limite l'amortissement annuel à 8 000 € par foyer fiscal. Le second restreint le dispositif à deux logements maximum par foyer. Un couple qui calcule 9 000 € d'amortissement sur un bien voit sa déduction rabotée à 8 000 €.
L'amortissement s'impute sur les revenus fonciers de l'année. Un bailleur percevant 10 000 € de loyers annuels et bénéficiant de 6 000 € d'amortissement ne déclare que 4 000 € de revenus fonciers imposables. Si l'amortissement excède les revenus fonciers de l'année, le surplus se reporte sur les années suivantes.
Simulations chiffrées d'investissement locatif à Montpellier
Trois profils d'investisseurs illustrent la mécanique concrète du dispositif avec les plafonds de loyers en zone A : 12,67 € par m² pour l'intermédiaire, 10,43 € pour le social, 8,2 € pour le très social.
Simulation 1 : T2 neuf à Port-Marianne - Loyer intermédiaire
Julie et Nicolas, jeunes cadres, investissent dans un T2 de 45 m² à Port-Marianne pour 255 000 €. Apport : 50 000 €, crédit : 205 000 € sur 20 ans à 3,3 %.
- Base amortissable : 80 % = 204 000 €
- Loyer marché : 800 €/mois -> 9 600 €/an
- Loyer intermédiaire plafonné : 570 €/mois -> 6 840 €/an
- Charges annuelles hors intérêts et amortissements : 2 000 €
- TMI retenue 30 % (soit 47,2 % avec prélèvements sociaux)
- Intérêts première année : 6 765 €
| Paramètre | Statut bailleur privé (loyer intermédiaire) | Location nue classique – micro-foncier 50 % |
|---|---|---|
| Loyers annuels retenus | 6 840 € | 9 600 € |
| Régime fiscal | Réel + amortissement | Micro-foncier 50 % |
| Base imposable (année 1) | 0 € | 4 800 € |
| Impôts + prélèvements sociaux sur loyers | 0 € | ≈ 2 266 € |
| Cash-flow net après impôts | ≈ – 1 925 € | ≈ – 1 431 € |
Micro-foncier 50 % :
- L’impôt sur les loyers est dû (≈ 2 266 €),
- Mais le loyer de marché limite l’effort de trésorerie : cash-flow ≈ – 1 431 €/an.
Bailleur privé :
- Zéro impôt locatif grâce à l’amortissement et aux intérêts,
- Mais loyer encadré + charges + intérêts conduisent à un cash-flow ≈ – 1 925 €/an.
- En contrepartie, Julie et Nicolas ont un stock de charges/amortissements reportables qui continueront de neutraliser la fiscalité dans les années suivantes.
Dans ce cas, à très court terme, le micro-foncier 50 % préserve mieux la trésorerie que le statut bailleur privé.
Sur 12 ans, l’intérêt du statut vient du fait que, à mesure que les intérêts d’emprunt diminuent, l’amortissement pourra neutraliser les revenus fonciers et maintenir une fiscalité faible ou nulle pendant une grande partie de la durée.
Simulation 2 : T3 ancien rénové aux Beaux-Arts - Loyer social
Pierrick acquiert un T3 de 62 m² pour 220 000 € + 44 000 € de travaux. Apport : 70 000 €, crédit : 194 000 € sur 25 ans à 3,35 %.
- Base amortissable : 80 % = 211 200 €
- Taux d'amortissement (ancien rénové + loyer social) : 3,5 % -> amortissement théorique ≈ 7 392 € (plafond 8 000 € non atteint)
- Loyer marché : 1 200 €/mois -> 14 400 €/an
- Loyer social plafonné : 646 €/mois -> 7 752 €/an
- Charges annuelles : 3 000 €
- Intérêts première année : 6 499 €
- TMI 41 % -> Taux IR + PS = 58,2 %
| Paramètre | Statut bailleur privé (loyer social) | Location nue classique – micro-foncier 50 % |
|---|---|---|
| Loyers annuels retenus | 7 752 € | 14 400 € |
| Régime fiscal | Réel + amortissement | Micro-foncier 50 % |
| Base imposable (année 1) | 0 € | 7 200 € |
| Impôts + prélèvements sociaux sur loyers | 0 € | ≈ 4 190 € |
| Cash-flow net après impôts | ≈ – 1 747 € | ≈ + 711 € |
En micro-foncier 50 %, Pierrick :
- supporte une fiscalité locative élevée (≈ 4 190 €),
- mais reste positif en trésorerie (≈ + 711 €/an) grâce au loyer de marché.
En bailleur privé, il :
- ne paie aucun impôt sur ses loyers,
- mais subit un loyer social environ deux fois plus bas,
- ce qui entraîne un cash-flow négatif d’environ – 1 747 €/an la première année.
Ici, la différence de loyer entre marché et social est telle que le statut bailleur privé n’est rentable que si l’investisseur accepte un certain effort d’épargne annuel, en échange d’une fiscalité quasi nulle sur très longue durée et d’un report massif de charges/amortissements.
Simulation 3 : T2 neuf à Estanove - Loyer très social
Gabriel et Soline investissent dans un T2 de 42 m² à Estanove pour 200 000 € grâce à une offre promoteur. Apport : 40 000 €, crédit : 160 000 € sur 20 ans à 3,23 %.
- Base amortissable : 80 % = 160 000 €
- Taux amortissement (neuf très social) = 5,5 % -> 8 800 €, plafonné à 8 000 € par foyer
- Loyer marché : 700 €/mois -> 8 400 €/an
- Loyer très social plafonné : 344 €/mois -> 4 128 €/an
- Charges annuelles : 1 800 €
- Intérêts première année : 5 168 €
- TMI 30 % -> taux IR + PS = 47,2 %
| Paramètre | Statut bailleur privé (loyer très social) | Location nue classique – micro-foncier 50 % |
|---|---|---|
| Loyers annuels retenus | 4 128 € | 8 400 € |
| Régime fiscal | Réel + amortissement | Micro-foncier 50 % |
| Base imposable (année 1) | 0 € | 4 200 € |
| Impôts + prélèvements sociaux sur loyers | 0 € | ≈ 1 982 € |
| Cash-flow net après impôts | ≈ – 2 840 € | ≈ – 550 € |
En micro-foncier 50 %, Gabriel et Soline restent déficitaires en trésorerie (≈ – 550 €/an) du fait du crédit, mais le déficit est beaucoup moins marqué qu'au réel sous la fiscalité du bailleur privé.
En bailleur privé très social, ils ne paient aucun impôt sur les loyers, mais :
- le loyer est très bas,
- l’effort d’épargne dépasse 2 800 €/an,
- l’avantage fiscal se matérialise surtout à long terme via le report d’amortissement.
Avantages et limites du statut bailleur privé
Atouts et profils d'investisseurs adaptés
L'amortissement fiscal constitue l'avantage principal du nouveau statut. Cette déduction s'inscrit sur douze années consécutives, créant un flux d'économies fiscales prévisible.
La sécurité locative représente un second avantage : les logements à loyers encadrés trouvent rapidement preneurs dans les métropoles tendues.
L'impact social constitue un moteur pour les investisseurs sensibles à la contribution au logement abordable.
Le dispositif s'adresse prioritairement aux contribuables fortement imposés (TMI ≥ 30 %), seuls capables d'absorber le différentiel locatif par l'économie fiscale. Une vision patrimoniale long terme s'impose : l'investisseur idéal dispose d'une situation professionnelle stabilisée et d'une assise financière solide. Une sensibilité à l'impact social facilite l'acceptation des contraintes. Enfin, une capacité d'épargne régulière sécurise l'opération en cas de vacance ou d'impayés.
Contraintes, risques et points de vigilance
Les aléas personnels et professionnels (mutation, divorce, difficultés financières) peuvent bouleverser les plans, et notamment l'engagement locatif de 12 ans. Sortir avant terme anéantit tous les avantages fiscaux, avec réclamation des sommes majorées d'intérêts.
Le plafonnement des loyers crée un manque à gagner structurel : 30 % en intermédiaire, 40 % en social, 50 % en très social. L'équilibre reste fragile et dépend de la tranche marginale d'imposition. La complexité administrative (conventionnement ANAH, vérification des ressources, déclarations spécifiques) exige rigueur et disponibilité. Le risque de vacance existe pour les biens mal situés. La sélection des locataires se complique avec les plafonds de ressources.
L'évolution réglementaire est également un facteur à surveiller. Les dispositifs fiscaux immobiliers (Pinel, Duflot, Scellier) ont démontré leur volatilité. Rien ne garantit la stabilité du statut adopté lors de la séance du 14 novembre 2025 sur la durée d'engagement.
La revente anticipée déclenche un rappel fiscal intégral qui peut s'avérer important, grévant lourdement la plus-value.
Les événements de vie imprévisibles (divorce, mutation, naissance multiple) fragilisent tout engagement long et doivent être pesés avant de s'engager.